Un point sur la situation dans l’industrie pétrolière

Sous forme de Foire Aux Questions (FAQs), cette synthèse devrait permettre à ceux qui n’ont pas suivi de près l’évolution du secteur des hydrocarbures ces derniers mois, de mieux comprendre ce qui s’est passé et comment on en est arrivé à une situation de "crise". Elle devrait aussi donner aux étudiants des éléments d’information pour la prise de décision sur leur orientation, à court et moyen termes.

1 - Comment expliquer cette chute du prix du baril que l’on constate depuis 20 mois ?

Durant l’été 2014, le marché mondial des hydrocarbures s’est trouvé déséquilibré par une situation d’offre supérieure à la demande. La montée en puissance de la production des gaz et huiles de schistes en Amérique du Nord depuis 2010, couplée à un ralentissement de la croissance mondiale (i.e. Chine et Brésil), a provoqué une situation de surproduction, qui aurait pu être résolue par un accord sur la baisse des quotas de production au sein des pays principaux producteurs tels que l’OPEP (12 pays, 1/3 de la production) et les autres (Russie). Mais cette entente n’a pas eu lieu.

2 - Pourquoi cette entente n’a pas eu lieu ?

L’Arabie Saoudite (et ses voisins), qui pèse lourd dans la stratégie de l’OPEP, a reconduit sa stratégie de production inchangée, au détriment des autres membres qui n’ont pas les reins aussi solides (Venezuela, Equateur, Angola, Algérie, Nigéria). Les analystes s’accordent à dire que cette obstination s’explique par une volonté des Saoudiens de reconquérir la position de premier producteur mondial, position qui leur a été ravie par les Etats-Unis grâce au non-conventionnel. Avec un baril bas, les monarchies du golfe espèreraient tuer les projets huiles de schistes aux US dont le seuil de rentabilité se situe aux alentours de 50-60 $. On évoque aussi le souhait des pays sunnites du cartel, de gêner le retour de l’Iran (chiite) sur le marché.

Toutefois, les Saoudiens se défendent de telles intentions, et prétendent qu’une entente de l’OPEP sur la réduction de la production ne changerait rien, car elle serait impossible à contrôler, chaque pays pouvant déclarer vouloir réduire, mais ne pas le faire dans les faits. Sauf que dans le passé, des accords de l’OPEP ont prouvé être le facteur clé pour résoudre les crises.

3 - A combien est estimé le déséquilibre offre-demande ?

La surproduction actuelle est estimée à 2 millions de barils jour, pour une production moyenne de 90-95 millions de barils jour en moyenne, ce qui somme toute, est faible (environ 2 %). Mais cela a suffi pour provoquer la division du prix du brut par quatre en 18 mois (!) car le marché n’est pas règlementé.

4 - Pourquoi l’offre et la demande ne se sont pas rééquilibrées ?

Puisque une entente n’a pas été trouvée, les pays producteurs tentant de compenser la perte de revenu engendrée par la baisse des cours, ont accru leur production, accentuant la situation de surproduction entrainant un cercle vicieux de dégringolade des prix, de 115 USD en Juillet 2014 à 27 USD en Janvier 2016.

Le marché pourrait se rééquilibrer à long terme de lui-même en raison d’un déclin naturel des réserves, qui sera exacerbé si les entreprises du secteur n’investissent plus. Mais cela peut prendre du temps, car on parle ici de paramètres longue période (de l’ordre de 1 à 3 ans).

5 - Quelles ont été les conséquences sur l’industrie ?

Cette chute spectaculaire des cours engendre une quasi générale situation de non rentabilité pour tous les projets eaux profondes, huiles lourdes, sables bitumineux, mais aussi un certain nombre de projets moins avancés techniquement. Dès lors, les opérateurs se sont lancés dans une chasse au coût entrainant une réduction drastique des investissements.
Les effectifs humains ne sont pas épargnés tant chez les opérateurs que chez les contracteurs, et l’on a assisté au cours des 18 derniers mois à la plus grande réduction d’effectifs jamais connue dans cette industrie (entre 500 000 et 1 millions d’emplois détruits). Certaines sociétés sont au bord de la faillite, d’autres ont déjà mis la clé sous la porte, notamment des sociétés dans le non-conventionnel en Amérique du Nord.
A cet égard, la stratégie de l’Arabie Saoudite pourrait apparaitre comme gagnante. Mais que quelques sociétés disparaissent, ne veut pas dire que tous les acteurs des huiles de schistes vont disparaitre, et les investissements dans ce secteur reprendront si les prix remontent. En ce sens, la stratégie à long terme des monarchies du golfe reste peu claire.

6 - Cette crise est-elle la plus grave que l’industrie ait connu ?

L’industrie pétrolière est régulièrement le théâtre de crises (en moyenne tous les 5 ans). Seule la crise de 1986 rivalise en intensité avec celle d’aujourd’hui. Si l’on regarde certains critères, la crise actuelle apparait déjà plus grave que celle de 1986.

7 - Y-a-t-il des opportunités d’emploi dans le secteur à l’heure actuelle ?

Les entreprises sont toujours occupées à réduire leurs effectifs. Dans la majorité des cas, les annonces du premier trimestre 2016 font état de plans sociaux ou de licenciements. Seules quelques sociétés s’en tirent mieux en ne s’appuyant que sur l’attrition naturelle (départ à la retraite, démissions, etc) pour réduire les effectifs, mais on peut dire que les plans d’embauches sont partout gelés. Il peut y avoir des opportunités isolées ici ou là, mais elles sont rares et le nombre de postulants disponibles pour chaque opportunité est important.

8 - Y-a-t-il des raisons d’espérer un retournement de situation en 2016 ?

Une remontée du prix du baril est possible en 2016. Cela dépendra toutefois d’évènements qui sont difficile à anticiper (politique de l’OPEP, conflits géopolitiques, rééquilibrage de la demande mondiale). Pour autant, il est peu probable que les investissements reprennent cette année car les budgets des grosses sociétés sont déjà votés pour l’exercise 2016.

Le scénario idéal serait que le prix du baril remonte à au moins 50-60 $ avant le troisième trimestre 2016 pour que le secteur envisage d’investir à nouveau en 2017.

9 - Combien de temps cette crise peut-elle durer ?

Personne n’a la réponse à cette question car le marché dépend de multiples paramètres qui ne sont pas connus, et les incertitudes sur les paramètres connus sont trop larges pour avoir une chance de prévoir juste. De nombreux analystes y vont de leur petite phrase sensationnelle, mais la réalité est que personne ne peut vraiment savoir. La prochaine étape importante qui pourrait faire bouger les lignes et qu’il faudra suivre attentivement est la prochaine réunion de l’OPEP en juin prochain.

10 - Quel impact du retour de l’Iran sur le marché ?

Le retour de l’Iran sur le marché ne va bien sur rien arranger, mais n’est pas si inquiétant que cela, car l’Iran présente des infrastructures en mauvais état qui vont nécessiter une remise à flot, ce qu’opérateurs et contracteurs voient plutôt comme une opportunité.

11 - A qui profite le pétrole bon marché ?

a/ Aux économies importatrices et fortement consommatrices telles que celles des pays développés. En France, c’est l’état qui en tire le bénéfice maximum, car le prix à la pompe n’évolue pas proportionnellement au prix du baril, en raison de la TICPE. Cette taxe est perçue sur les volumes vendus et non sur le prix de vente du produit. Les rentrées d’argent dans les caisses sont donc toujours significatives, alors que les coûts de fonctionnement de la fonction publique ont tendance à diminuer.

b/ Aux industries fortement consommatrices d’énergies, comme la pétrochimie, les transports.

c/ Aux industries qui travaillent dans le secteur de l’aval pétrolier (raffinage, distribution) car la pression sur leurs marges se détendent car leurs coûts opérationnels sont moindres.

d/ Aux consommateurs qui bénéficient aussi mais dans une moindre mesure de la baisse des prix du baril.

12 - Qui est fortement pénalisé par un pétrole peu cher ?

a/ Les économies dont les budgets reposent sur l’exportation des hydrocarbures telles que les pays producteurs et exportateurs de pétrole de l’OPEP et la Russie.

b/ Les industries opérant dans le secteur de l’amont pétrolier (exploration et production), qui voient leur efforts d’investissements non-récompensés et par ricochet, tous les sous-traitants vivant de l’activité de l’E&P (contracteurs, fournisseurs).

c/ Les banques, qui ont accompagné les projets d’E&P en prêtant de l’argent aux sociétés du secteur et qui sont maintenant obligées de choisir entre maintenir à flot leurs créanciers en difficulté, (en procédant à des extension de les lignes de crédit, ce qui signifie une exposition au risque supérieure) ou bien cesser de les soutenir et perdre une grosse partie de l’argent déjà avancé.

d/ Le secteur des industries renouvelables (éolien, solaire, géothermie, bio-masse etc..), car le coût de production du kW produit à partir d’hydrocarbures est actuellement très concurrentiel.

13 - Quelle vision à long terme ?

Ne le cachons pas : il est difficile d’avoir une vision claire à long terme. On peut toutefois avancer les points suivants :

Aujourd’hui, on assiste à un ralentissement de la croissance mondiale mais cela ne devrait être que momentané. Sur le long terme la population mondiale va augmenter encourageant une hausse de la demande en énergie. Le besoin en hydrocarbure restera élevé tant que la transition énergétique mondiale (dé-carbonisation) n’est pas effective.

Par ailleurs, l’arrivée sur le marché du non-conventionnel a bousculé un équilibre, mais cela sera-t-il suffisant pour compenser le déclin de production du conventionnel ?

Le plus imprévisible est certainement la situation géopolitique mondiale et en particulier celle du moyen orient qui est très préoccupante. Les réserves d’hydrocarbures y étant massivement concentrées, un embrasement général de cette région provoquerait une flambée du prix du baril. Ce scénario apparait aujourd’hui entre possible et probable.

Que cela soit dans le conventionnel ou le non-conventionnel, il y aura un besoin de produire et de renouveler les réserves et sur le moyen terme l’industrie aura besoin de re-déployer ses effectifs, ce qui représentera autant d’opportunités pour les jeunes diplômés.

Le secteur traverse actuellement une phase de réajustement, ou les sociétés et les investisseurs s’alignent sur un niveau subitement plus bas. Une fois ce réajustement à la baisse effectué, il retrouvera la croissance et les opportunités d’emploi réapparaitront.

Jean-Claude Puech