Portrait Julien MOREAU

1. Pouvez-vous décrire votre poste actuel (ou votre dernier poste et vos dernières fonctions) ?
Je suis codirecteur d’une compagnie qui s’appelle Plastic@Bay, ou nous expérimentons des concepts d’économie circulaire pour tenter de nettoyer la côte autour du Cape Wrath (NW de l’Écosse). L’idée est de recycler les plastiques de la pollution marine pour générer des revenus pour payer des gens pour nettoyer. Je m’occupe de fabriquer/développer les machines, gérer les mesures et données que nous collectons, de la recherche sur la sédimentologie/océanographie des plastiques (comment ils transitent dans notre environnement) et de toute la partie médiatique qui permet de transmettre nos observations au public via des interventions dans les écoles, conférences, documentaires/presse, événement de nettoyage et aussi dans notre petit espace pédagogique ou nous recevons de très nombreux visiteurs.
Je suis aussi auto-entrepreneur avec une petite compagnie de consulting qui s’appelle the NW-Edge qui fait du développement open-source pour des compagnies intéressées par la visualisation 3D et la combinaison des données géologiques et géophysiques en tout genre. Je fais parfois de l’imagerie et du reprocessing de données sismiques pour des universités.

2. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours, ou votre obsession comme vous l’appelez ?
Pour comprendre comment j’en suis arrivé là, il faut remonter sûrement à mon enfance. En effet je suis né en Afrique de l’Ouest, à Dakar. Je savais marcher et nager en même temps et j’ai toujours passé beaucoup de temps en mer ou juste à contempler l’Océan Atlantique. J’ai une connexion avec la mer qui est forte et j’avoue que tous mes séjours loin des embruns me sont difficiles. Ma mère a fait de la botanique, de la volcanologie en parallèle de son travail de prof de lycée de SVT, mon père passait 6 mois en brousse par an et quand il a arrêté, il est devenu pécheur professionnel. Mon beau père aussi avait des bateaux de pêche et même louait pour des projets d’acquisition sismique. En 1994 nous avons dû partir quand le franc CFA a été dévalué par le FMI. J’ai intégré un lycée lyonnais en internat qui était spécialisé dans les options de technologies industrielles, j’y ai appris les bases de l’automatique, et autres méthodes d’ingénierie. Malgré mon intérêt croissant pour l’informatique et la technologie, je rêvais de devenir océanographe, je voulais travailler sur un bateau (la faute à Cousteau). J’ai donc intégré la fac de Lyon en biologie, option géologie. Après deux ans, pour raisons personnelles, je suis allé continuer mes études à Lille et me suis orienté vers la sédimentologie. J’ai eu un DEA dans ce domaine au laboratoire de l’École des Mines de Paris à Fontainebleau, étudiant la diagenèse carbonatée. J’ai eu la chance de décrocher une thèse CNRS/TOTAL à Strasbourg et c’est ainsi que j’ai intégré l’EOST. Après l’obtention de ma thèse de Sédimentologie sur les séries glaciaires ordoviciennes de l’ouest Libyen, j’ai fait un post-doc pour étendre mon domaine d’étude de thèse sur la région. Ne trouvant rien en France, je décroche un post-doc international à Aberdeen en Écosse sur la glaciation Quaternaire en Mer du Nord à travers la sismique 3D. C’est là que je découvre la côte ouest où je me sens un peu comme à la maison. Malheureusement, mon superviseur déménage à Manchester, je le suis pendant quelques mois jusqu’à l’épuisement de mes financements. Je renonce à poursuivre car je n’aime pas cette mégalopole. Au même moment je dois rentrer en France pour raisons familiales et je signe pour l’École des Mines, 1 an sur de l’intégration de sismique 3D dans un logiciel de modélisation. Ça ne se passe pas bien et je décide de partir avec ma compagne de l’époque pour la Finlande. Là, je travaille dans le laboratoire de géophysique de l’OTAN qui fait de la surveillance pour les essais nucléaires et... de l’imagerie sismique/ modélisation 3D où j’ai mon bureau. Je suis appelé pour aider sur un projet environnemental pour faire du géoradar et de l’intégration de données en 3D sur un futur site minier. Je travaille à la fac là-dessus pour un moment mais la course aux financements m’épuise, nous décidons de partir. Je trouve un CDD d’enseignant-chercheur à Copenhague au Danemark. Je participe à une étude d’analyse de la craie par l’imagerie, du géoradar a la sismique d’exploration. En parallèle je cogère un master d’exploration pétrolière. Après 4 ans, il n’y a plus de financement et je cherche du travail au Danemark, en vain. Là, je décide d’aller vivre dans un endroit que j’aime, plutôt que de courir incessamment après des financements. Après un certain âge, il ne sert plus à rien d’espérer se faire embaucher sur des postes académiques ; et on a envie de construire quelque chose. Je déménage donc au milieu de nulle part pour m’établir dans le NW de l’Écosse. À l’origine, je voulais créer un studio d’enregistrement/retraite pour artiste. L’acoustique étant quand même une partie intégrante du travail de géophysique et avec mon amour de la musique, j’aimais bien l’idée. Après quelques mois, je réalise les quantités de plastique qui arrivent en permanence sur cette plage où je viens depuis près de 10 ans. Je commence à m’associer avec Surfers Against Sewage dont je suis le représentant local pour organiser de grands nettoyages. Je discute avec différents acteurs et j’apprends qu’il n’y a pas vraiment d’acquisition de données dans la zone et que personne ne sait combien il y a de plastique accumulé, où, et à quelle vitesse il arrive. Je commence donc à faire des mesures et réalise quelques modèles numériques. J’avoue être totalement effaré, puis paniqué. Il y a des niveaux de pollution ahurissant depuis 40 ans, les orques stériles, tout l’océan qui se meure et personne n’est vraiment au courant. Du moins je ne l’étais pas et ça me surprenait vu que je lis quand même beaucoup de littérature scientifique. Cette perception a beaucoup changé grâce à Blue Planet entre autres. Néanmoins d’expérience avec des gens qui vivent ici, peu ont réalisé l’ampleur de la destruction omniprésente associée avec les plastiques marins. Ma compagne et moi décidons donc de nous engager, de créer une structure qui nous permette de lever des fonds pour trouver des solutions, Plastic@Bay est née. En même temps je fais pas mal de consulting ce qui me permet de mettre un peu de côté. Aujourd’hui la compagnie a pris beaucoup d’ampleur mais il n’y a pas de financement pour moi donc je vis sur mes économies. Il me parait impossible d’arrêter car la pollution, elle, ne fait jamais de pause, chaque marée nous amène toujours plus de plastique.

3. Auriez-vous une anecdote à nous partager sur votre séjour à l’EOST ?
Une fois quand j’encadrais des étudiants de l’EOST sur Barles, nous décidons de prendre une voie très escarpée pour observer de près des structures que nous avions vu de loin dans les Barres de Chine. C’était très très raide et à mi-hauteur un des étudiants m’avoue avoir un vertige terrible. Il ne m’en a pas trop voulu car il a grimpé une falaise avec nous quelques années plus tard qui avait un devers de plusieurs centaines de mètres en Libye. Personnellement je ne comprends pas le vertige, je ne l’ai pas mais cette anecdote m’a pas mal appris sur la volonté, les différences de perception entre personnes, la confiance et l’amitié, c’est difficile à expliquer. Quand on fait du terrain, on a beaucoup d’anecdotes et l’on pourrait en parler des heures avec Jean-François Ghienne avec qui j’ai passé des semaines dans le désert Libyen, c’est une expérience unique qui lie les gens mais qui est difficile à partager après coup.

4. Quelles sont vos attentes vis-à-vis de Géophyse ?
Je n’en attends pas grand chose. Je trouve que c’est bien que les gens gardent le contact. Je vois des portraits de mes anciens étudiants sur la page. Ça fait plaisir d’avoir des nouvelles, éventuellement une discussion de temps en temps. Je suis toujours prêt à répondre aux questions si je m’en sens capable.